Anouk se cache, elle hésite à sortir.
Alberte a permis de la cacher pendant longtemps. Cache misère, cache
mystère. Alberte a le goût de l'anonymat, le parfum des identités
virtuelles. Alberte crée, Alberte dit, Alberte pense... Alberte
s'exprime. Alberte a une histoire à elle, elle porte un prénom du passé
qu'elle a choisi, un prénom pour son avenir, un prénom de plume, léger,
aérien, qui chatouille et interroge.
Alberte a surtout caché AF. AF, identité raccourcie, rabougrie, pâlie.
AF, moignon de prénom qui ne dit pas son nom. AF, deux lettres qui
cachent la mort, la peine, la tristesse. Quand AF se déploie, la
tristesse n'est pas loin. Elle se délie aussi par solennité, pour l'état
civil, pour se faire engueuler, pour les inconnus. AF rallongée, c'est
une image pas commune, une interrogation, un préjugé. AF en entier
c'est une double identité en miroir déformant. AF est étendue sur les
vestiges passés, sur une histoire qui n'est pas la sienne et qu'elle a
quand même portée, par fidélité, par peur de décevoir ou de ne plus être
aimée. En réalité, elle est mieux rabougrie, repliée dans son cocon,
cette AF. Tranquille. C'est comme ça que ceux qu'elle aime l'appellent
alors après tout c'est bien. C'est moche mais c'est discret. Ca ne pèse
pas un âne mort. Ca ne pèse pas une âme morte.
Anouk n'est pas loin. Anouk, celle qui attend pour paraître. Celle qui
jette un œil derrière la porte pour voir s'il fait beau dehors. Elle
sort une main tendue pour sentir le vent, fait quelques pas discrets,
tâte le terrain pour en vérifier les écueils. Pour l'instant le ciel est
clair, Anouk s'essaie à vivre avec des gens qui ne connaissent ni
Alberte ni AF, même si elle peut en parler parfois. Anouk appréhende
l'orage, la tempête, la pluie de sauterelles qui risquent de lui tomber
sur la tête lorsqu'elle clamera à la face du monde : "Je suis Anouk, je
suis moi, je suis légère et j'existe! Je suis libérée de cette identité
trop lourde à porter, je veux vivre pour moi, en dépit des peines de
ceux qui m'ont nommée."
Pour l'instant, Anouk peaufine son apparence, elle a un beau parapluie
multicolore, de grandes bottes rigolotes et cherche une solution contre
les sauterelles. Peut-être décidera-t-elle de rester cachée à
l'intérieur d'AF, après tout on y est en sécurité, en terrain connu, et
on ne risque pas de faire du mal à ceux qu'on aime et qui ne
comprendront pas, de ceux qu'on aime et dont les habitudes seront
bouleversées.
Anouk a très envie de sortir mais elle n'ose pas encore. Anouk est en
train de comprendre sa force, de prendre des forces. Anouk a soif de
liberté.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Une petite bafouille ?